Complexe, provocateur né, passé maître dans l’art du contre-pied, le sélectionneur des Bleus est un personnage qu’on aime ou qu’on déteste mais qui ne laisse pas indifférent. L’homme qui goûte peu aux interviews a accepté de venir débattre avec les lecteurs de Metro à quelques jours d’une double confrontation (Roumanie le 5 septembre, Serbie le 9 septembre) capitale pour la qualification à la Coupe du monde 2010.
Parfois avec véhémence, souvent avec humour. Eliminatoires, choix des joueurs, désamour avec le public français, vie privée : “Raymond” n’a rien esquivé.
Sandrine Ricard : Vous avez quand même une vision très négative des médias...
Raymond Domenech : Ah oui. Je généralise. J’ai des amis dans la presse, une femme à la télé. Je sais comment cela fonctionne, j’y ai travaillé. Le brin d’estime qui me reste pour la presse, c’est que je connais la difficulté de leur boulot. Quand tous les jours, il faut écrire un truc, trouver quelqu’un chose d’intéressant, ce n’est pas évident. Il faut les alimenter, mais je ne peux accepter la malhonnêteté. Je pars du principe qu’ils sont dangereux.
La moindre phrase que je vais prononcer va être interprétée. Je fais attention à ce que cela ne mette pas les joueurs en difficulté. Mon seul truc c’est ça. Je suis en vigilance permanente. Je me demande toujours est–ce que cette phrase va toucher un joueur ? L’idée, c’est ça. Quand c’est moi… au point où j’en suis, au contraire même. J’ai essayé d’expliquer au début. Quand il y a en un ou deux, on peut. Mais quand 50 mecs viennent à la conférence de presse, tout le monde veut quelque chose et va prendre l’information de manière différente. C’est pour ça que je suis très très vigilant. Ce qui fait que je me ferme un petit peu.
Quand je passé à la télé en conférence, je deviens schyzophrène. Je me regarde presque et je m’écoute parler en me demandant "qu’est ce que t’es en train de dire". Quand je réponds aux questions, je ne parle pas aux médias, ni forcément au public, je m’adresse aux joueurs. C’est ça le problème. Je sais que les joueurs épluchent la presse.
Fode Savane : Ce qui est important pour nous, supporters, ce ne sont pas les petites phrases. Ce qu’on attend de vous, ce sont les résultats ?
Je peux vous couper? Ce n’est pas de moi. Moi je suis juste là pour mettre les joueurs dans les meilleures conditions pour qu’ils gagnent. Et parfois on a l’impression que c’est moi qui doit jouer le match. Moi c'est ce que j’essaie de dire aux joueurs : la performance c’est vous. La victoire, ce sera vous. Je n’ai jamais essayé de me mettre en avant.
Là on a une génération qui est jeune, qui se met en place, qui se construit. La moyenne de sélections en équipe de France se situe entre 12 et 15. C’est ça qu’on n'arrive pas à comprendre. Je ne peux pas le dire à chaque fois. Cette équipe est jeune mais elle a du talent. Quand on joue les matches internationaux, on a des mecs qui ont 90 sélections en face de nous. C’est pour cette raison qu’il est capital de passer les qualifications et d’aller au Mondial.
Raymond Domenech en vidéo : "Une équipe arrive à maturité entre 27 et 30 ans"
Sandrine Ricard : Vous communiquez de manière très défensive, voire agressive…
Attendez… Vous dites que je ne suis pas aimé du public. Je veux bien croire qu’une partie de l’opinion ne me soit pas favorable, mais je vous assure je prends le métro - pas le journal -, je ne suis pas agressé du tout. Les gens dans la rue s’arrêtent, ouvrent la fenêtre, klaxonnent pour me dire : “Accrochez-vous les Bleus, ne les écoutez pas, continuez”. Je n’ai que des messages comme ça.
C’est ce qui me renforce parfois. Si en ouvrant la porte, des gens me jetaient des trucs sur la tête, je me poserais les vraies questions. Je pense qu’il y a une part du public qui est agacée par ma façon de faire, et une autre qui a pris mon parti et qui pense que tout ce qui est écrit dans la presse est exagéré. Qu’on me reproche mes choix, qu’on juge que je ne fais pas la bonne équipe, on peut. Mais pas quand on sort des mensonges sans vérifier l’info.
Grégory Rota : Une association Benzema-Gignac à la pointe de l’attaque des Bleus relève–t-elle du possible pour les prochains matches ?
Pourquoi pas. Faut voir. Mais à côté, vous mettez qui, dans quel système de jeu, associé à qui ? C’est ça le métier de sélectionneur. Il y a un courant d’air qui passe, le mec plante un but, il doit jouer. La semaine d'avant, Karim (Benzema) n’était pas bon à donner aux chiens quand on lisait la presse.
Sandrine Ricard : Pourquoi l’équipe de France joue-t-elle de manière si défensive ?
Avec Ribery, Anelka, Gourcuff et Gignac contre les Féroé, vous trouvez qu’on a priviligié la défense ? Regardez le milieu de terrain, le jour où Jérémy Toulalan marquera, on s’apercevra enfin qu’il joue dans le même registre que Patrick Vieira.
Toutes les grandes équipes évoluent avec deux récupérateurs, un plus défensif et l’autre relayeur qui fait le piston entre la défense et l’attaque. La vraie question est de savoir comment on se projette vers l’avant. Je pousse Jérémy à aller davantage vers la surface adverse. Une sélection, c’est une recette de cuisine. On peut donner à tout le monde les mêmes ingrédients, et à la fin quand on va y goûter ce ne sera pas la même chose.
Sandrine Ricard : Donc vous n’avez pas d’idée de style de jeu ?
J’ai une chance extraordinaire. Pendant dix ans, j’ai été formateur d’entraîneurs. Donc les systèmes, les organisations et les styles de jeu, j’ai fait le tour de tout. Je ne suis pas inquiet. Je peux organiser ce que vous voulez avec les principes qui régissent ces organisations là. Je prends les joueurs, on regarde ce qui va être le mieux.
Frédéric Bazin : Pourquoi on ne marque pas plus ? On a l’impression que les internationaux se lâchent avec leur club et qu’ils sont inhibés chez les Bleus...
Vous savez combien de fois on a tiré au but contre les Féroés (1-0) ? Il y a eu 18 tirs. Ca veut dire que la construction du jeu, l’animation, les situations de but, elles existent, on les crée. La différence, elle se fait où ? Sur le truc que personne n’apprend. Mettre le ballon hors de portée du gardien dans les 18 mètres.
Le buteur est quelque chose d’exceptionnel. Contre les Féroé, des occasions, on en a à la pelle. Changer pour enlever un attaquant et en remettre un autre : ça peut se faire. Je ne dis pas que c’était faux mais moi je privilégiais l’équilibre de l’équipe et j’avais les matches contre la Roumanie et la Serbie à préparer. Je ne suis pas partisan du changement. Je sais, on me l’a souvent reproché.
Question : Comment travaillez-vous avec les joueurs de l'équipe ?
Je note tout ce que font les joueurs : les moments où ils sont bien, les moments où ils ne le sont pas. On va vivre en Afrique du Sud comme on a vécu en 2006 en Allemagne : un mois et demi ensemble. Quand on a un comportement face à une situation banale, à un moment donné où il y a un peu de stress mais pas trop, je sais que c’est un détail aujourd’hui mais là-bas, ce sera une montagne. Il faudra que je sois très très vigilant.
Mettre en situation, c’est de la psychologie, c’est du management. Pour la Coupe du monde, je vais préparer des mecs qui vont vivre ensemble durant un mois et demi sous pression. Là, on parle de vraie pression tous les jours avec l’exigence du résultat et le monde entier qui vous regarde. Anticiper comment ils se comportent est capital. C’est ce qui fait qu’un groupe est fort quand il part ou qu’il est déjà fissuré avant de commencer.
Fode Savane : Vous parlez de pression. Est-ce que vous en subissez au niveau de la Fédération ?
Et vous vous croyez quoi ? Est-ce que vous pensez un seul instant qu’on puisse m’influencer ? La seule chose qui m’influence, c’est ma relation avec le joueur. Il existe un côté affectif, on ne peut pas y échapper.
Cet aspect j’essaie de l’éliminer en me disant que l’objectif c’est l’équilibre de l’équipe. C’est le résultat qui prime pas mon rapport avec untel même si il existe. J’ai de l’affinité avec mes joueurs. Je pourrais partir en vacances avec certains sans problème.
Lesquels ?
Si je vous donne des noms, ça signifie que j’exclus les autres. C’est le problème qu’on évoquait tout à l’heure. Je ne peux pas répondre à cette question, ça m’est impossible. Après les mecs, ils se chambrent entre eux : “ah ton père” en parlant de moi. C’est dangereux. Pour répondre à la question, non je ne subis pas de pression des dirigeants, ni d’Adidas. Vous savez comment on fait une liste ? Alain Boghossian, Bruno Martini, Pierre Mankowski, Robert Duverne vont voir les matches. Ils sont au bord des terrains. Ils ne regardent pas les résumés à la télé. Une fois qu’ils ont vu le comportement des joueurs, on s’appelle. C’est de l’information permanente.
Je contacte les entraîneurs des équipes qui ont rencontré les joueurs que je veux. Le coach des internationaux est en général mal placé : soit il va vouloir m’influencer positivement, soit il n’a pas envie qu’il soit retenu pour un match particulier et il sera négatif. A la fin, on met les noms sur un tableau. Un premier déblayage. On connaît déjà l’adversaire, on l’a étudié.
On recherche les joueurs en forme qui vont pouvoir s’intégrer dans le système qu’on veut mettre en place. Hier (jeudi dernier, ndlr), on a passé comme ça trois heures à débattre pour mettre 23 noms sur une liste. C’est un balayage de toutes les options, de toutes les possibilités avec toutes les contrariétés qu’on peut rencontrer jusqu’au coup d’envoi du match.
Fode Savane: On se souvient que vous vous étiez accroché Avec Arsène Wenger. Quels rapports avez-vous avec les entraîneurs de club ?
La relation normale de tout sélectionneur qui a des intérêts divergents des entraîneurs de club parce qu’ils voudraient qu’on utilise moins leurs joueurs, qu’on les protége. Eux, ils jouents les championnats, les coupes de la Ligue, les Coupes X ou Y... tout et n’importe quoi. Ils enchaînent les tournées et les matches amicaux et ils voudraient qu’on protége les joueurs quand on dispute des matches internationaux.
En 2006, j’avais une conviction totale qu’on irait en finale. Je ne sais pas comment l’expliquer. Est ce de l’inconscience ? Je me me posais même la question
A un moment, il faut se battre. Ce n’est pas moi le problème. C’est même pas sélectionneur contre entraîneur car on fait le même metier, c’est compétition internationale contre la vie des clubs. On dit toujours qu’il y a trop de rencontres mais on a encore inventé le Championnat du monde des clubs. Il y a trop de matches pour les joueurs de haut niveau, pas pour les autres qui ont tout le temps de se préparer tranquillement. Donc forcément, on est en opposition.
Fode Savane : Le rapport de force a t-il évolué ?
Pour le moment non car une sélection c’est quelque chose d’important. Pour les joueurs, venir en équipe nationale représente un plus. Ça les sort du cadre habituel, ça les met en valeur. On n’est pas encore dans la situation du basket où en pleine compétition on demande aux internationaux de rentrer au club pour passer des examens sans savoir s’il repartira ou pas. Le jour où les clubs pourront dire : c’est nous qui décidons de l’emploi du temps des sélections, on mettra la clé sous la porte. Jusqu’à maintenant, une Coupe du monde, c’est plus fort que tout.
Mathieu Haes : Le profil de l’équipe change à chaque match. Allez-vous maintenir votre confiance aux anciens ou faire appel à des jeunes pour la fin des qualifs et au Mondial ?
Depuis 2006, l’équipe est en train de se reconstruire. Il y a eu cet apport de jeunes joueurs autour des cadres. A l’Euro, les tauliers n’étaient pas bien et les jeunes pas du tout prêts. Ils étaient loin de savoir ce qu’était une compétition de ce niveau là. Ça nous a couté très cher. Maintenant, ils savent.
Mais on ne pouvait pas passer par autre chose. C’est ce que je dis toujours aux anciens, ce n’est pas vous qui laissez la place, c’est eux qui doivent vous virer. Tant que vous êtes performant, vous jouez. Moi je n’ai pas de problème avec l’âge. Tant qu’il n’y a pas de jeunes joueurs qui montrent qu'ils leur sont supérieurs, ils ne jouent pas. La jeunesse n’est pas une carte de crédit en équipe de France.
Mathieu Haes : Quand est-ce que cette équipe arrivera à maturité ?
Pour cette génération là, il faut vraiment se qualifier pour la Coupe du monde. C’est six mois derrière de préparation, de vécu. Et derrière, il y a un Mondial. Pour les matches de préparation, il y aura quelques réajustements psychologiques à mettre en place mais bon elle sera prête. Il faut donner le pouvoir à cette équipe.
Sandrine Ricard : Vous nous expliquez que les Bleus sont en reconstruction mais je ne vois pas d’équipe, de collectif mais une somme d’individualités…
On va vous inviter à Clairefontaine et vous verrez si il n’y a pas de collectif. Il y a un groupe extraordinaire. La 2e mi-temps en Roumanie a été exceptionnelle à ce niveau là, au niveau de la prise en main du groupe. A la mi-temps, ils ont compris que c’est leur avenir qu’ils étaient en train de jouer en Coupe du monde. Après le repos, on les a bouffés. C’était une attaque-défense comme aux Féroés. Peut-être qu’à l’extérieur… Moi je le vois vivre ce groupe, on sait comment il fonctionne.
Sandrine Ricard : Mais moi je le vois jouer. C’est ce qui me panique à moins d’un an de l’Afrique du Sud...
Je vous le répète, c’est un groupe qui possède une moyenne de matches internationaux limitée. Je reprends toujours l’exemple de l’Espagne qui me fait bien rire. Ils sont devenus champions d’Europe avec une équipe qui était trop jeune deux ans plus tôt, quand nous les vieux on les a battus au Mondial 2006.
En Allemagne, en finale, vous aviez les deux équipes les plus vieilles du tournoi. Je vous l’accorde on n’est pas toujours rayonnant, on des moments de fragilité mais ce que je regarde moi, ce sont les espérances. Si je n’y croyais pas, j’aurais arrêté après L’Euro. Débrouillez-vous, c’est sans avenir. Et non justement, c’est pas sans avenir. J’ai cette conviction que vous ne ressentez pas à l’extérieur.
Frédéric Bazin : Vous avez des entretiens individuels avec les joueurs pour voir où ils en sont ?
Je ne fais pas d’entretiens formels. C’est toujours une surprise. Je vais trouver les joueurs quand ils ne s’y attendent pas : dans le couloir, à la sortie de leur chambre, quand on va l’entraînement. Je m’arrange pour me retrouver juste à côté de celui que je veux voir. De cette façon, ils sont plus détendus. En entreprise, ils sont habitués aux tête-à-tête, les footballeurs beaucoup moins. Je l’ai fait une fois, mais c’était pour régler un compte.
Il y a un truc que je n’oublie jamais, c’est que j’ai été joueur. Garder cette relation de confiance avec eux est capital. Je ne les ai jamais trahis et ils le savent. On peut se dire en face tout ce qu’on veut dans le vestiaire, et quand il y a quelque chose qui sort, ce sont eux qui ont voulu le faire de temps en temps. D’ailleurs on me le reproche souvent : “si tu les avais un peu allumés, ce n’est pas toi qu’on critiquerait”. Honnêtement je m’en fous.
Même sous la torture, il n’y a rien qui sortira vers l’extérieur. Mon seul souci, c’est d’entretenir l’ambition d’aller à la Coupe du monde. Et d’être performant là-bas. A la fin, seul le résulat comptera. Je serai diable ou Dieu.
Frédéric Bazin : Y-a-t-il un risque avec la pandémie de grippe A ?
Au moindre signe, on doit mettre un joueur à l’écart, en quarantaine tout de suite. On espère que cela touchera plutôt les Roumains que nous ! La question à laquelle on a répondu, c’est si ça arrive à cinq ou six joueurs qui doivent jouer le jour d’un match, les mecs en face ils vont s’écarter…
Fode Savane: Que faites-vous pour atténuer les rivalités au sein du groupe ?
Quand on est en stage, on fait des opérations hors football. On fait venir aussi les familles. A chaque fois, j’esssaie de trouver quelque chose qui les sorte du cadre pour vivre aussi simplement ensemble sans le jugement des performances.
On peut aimer ou ne pas aimer quelqu’un. Quand on est suffisamment mûr pour comprendre que ce qui compte, c’est le résultat, c’est plus facile de dire ensuite “je ne l’aime pas mais je vais l’aider à gagner”. C’est pas la cour de l’école : lui je ne lui donne pas le ballon, c’est pas mon copain. Ça existe encore un peu. Ça s’estompe avec le temps. Pour comprendre ça, il faut un peu de bouteille et des qualités techniques pour le faire.
On veut faire un match en Afrique Noire. C’est important pour les joueurs de l’équipe de France et leur culture. Il faut aller là-bas. C’est un projet qui me tient à coeur.
Sandrine Ricard : Vous multipliez les tests. Il serait peut-être temps de jouer avec un onze type non ?
Une sélection, c’est un test permanent. Je suis d’accord avec vous, les bonnes équipes comme celle de 1998, à un ou deux éléments près, on ne se posait pas de question. C’était la même ossature, les mêmes titulaires. On avait une chance incroyable. Aimé Jacquet a débuté en 1993 à la tête des Bleus. Après l’Euro anglais, il a eu un an et demi de matches amicaux pour faire tous les essais en vue du Mondial. Nous on est coincé avec les éliminatoires.
Comment on bâtit une équipe avec l’obligation de faire des résultats ? C’est compliqué de trouver le bon équilibre. Prenez la défense centrale. Depuis 2008, à chaque fois que j’ai une équipe en tête, je suis obligé de faire différemment au dernier moment : l'un se blesse, l’autre est suspendu, un autre est à la rue. En 2006, je savais quelle était l’équipe, qui remplaçait qui.
Ça c’est l’idéal mais cet idéal il se construit. Il ne s’invente pas. Certains vont payer les pots cassés ou essuyer les plâtres pour arriver à cet objectif. J’y suis. On y est. On ne peut pas décréter que les 11 aujourd’hui, c’est ceux-là, parce que c’est comme ça.
Sandrine Ricard: vous avez bien une idée quand même ?
Oui, j’ai une projection. L’idée de l’équipe type à venir peut être celle-là. Mais il peut arriver tellement de choses d’ici là. En 2006, Ribéry n’a pas joué les qualifs. Il faisait partie du projet pour vous ? Moi je savais que j’allais le prendre. Cette fois, qu’est ce qui va se passer dans les six mois qui viennent ? Il y a peut-être un nouveau Maradona qui va arriver, on n’en sait rien. Je le dis toujours mais pas en plaisantant : j’ai en tête l’équipe de la finale de la Coupe du monde, là aujourd’hui.
Gregory Rota: Mandanda et Lloris sont en balance. Allez-vous instaurer une hiérarchie comme vous l’aviez fait avec Barthez et Coupet ?
Je vous rassure, il y a aura toujours un titulaire et un remplaçant. Le dernier match, c’était Lloris dans les cages, Mandanda avait gardé les buts durant 10 matches avant. Ne me taxez pas de changer tout le temps. On a une vraie stratégie. Je sais déjà qui va jouer contre la Roumanie et la Serbie. Il faut faire des choix qui seront discutés quoi qu’il arrive.
En France, il y a 60 millions de passionnés, de gens qui ont quelque chose à dire sur la sélection. Qu’il y ait cette envie, que tout le monde puisse discuter sur le foot, je trouve ça génial. Mais à la fin, il y en a un qui doit choisir et assumer, et c’est moi. J’ai eu ce courage de toujours assumer ce que j’ai fait. Je n’ai jamais dit 'c’est la faute des joueurs'. A la fin d’un match, vous ne m’entendrez jamais balancer : ils ont été nuls. Ils n’ont pas fait ce que je leur demandais. Mon discours d’après-match prépare la rencontre à venir. On a le droit de penser que je fais de la langue de bois, que je dévie, que je réponds à côté.
Sandrine Ricard : Est-ce que vous reconnaissez une part de responsabilité dans les échecs ?
Dans les défaites autant que dans les succès. La même part. Le foot, c’est comme la vie, on fait des erreurs. Pour moi cette definition de l’échec est bizarre. Vous ne vous êtes jamais dit, je fais ça, c’est une vraie connerie, mais je vais quand même la faire. Ça n’arrive pas. Ben moi non plus. A posteriori, vous pouvez juger que peut-être si vous aviez agi autrement, le résultat aurait été changé mais le peut-être, il est capital. C’est lui qui fait la différence.
On ne peut pas revenir en arrière. Pour moi la seule chose qui compte, c’est 'est-ce que j’ai bien pesé le pour et le contre ?' Je ne me dis pas je vais faire un truc mais je vais le regretter, on va dans le mur. Des erreurs de ce style, je n’en ai pas commis. Je n’éprouve pas de sentiment de culpabilité. Le foot avec la pression du résultat vous oblige à être humble. Vous redescendez vite à moins d’être champion du monde tous les quatre ans. Ce que je refuse de faire, c’est d’accuser les autres. On est tous ensemble. La conséquence de dire "j’ai fait une erreur", ça va automatiquement retomber sur quelqu’un.
Sandrine Ricard : J’aime les Bleus. Ça me fait de la peine de voir le désamour du public…
Vous vous souvenez du match contre la Norvège à Marseille avant la Coupe du monde 1998? Les joueurs avaient été sifflés durant 90 minutes. Ce qui se passe autour de l’équipe, on le changera avec les résultats. De tous temps, les gens ont sifflé comme ils huent le président de la République dans les tribunes. C’est un principe national. Ils voudraient qu’on soit champion à chaque fois.
On a eu 98 puis 2000 et personne n’est encore redescendu. On est à une autre époque avec une nouvelle génération. Aux Féroé, il ne figurait aucun joueur de 98 dans l’équipe. Saint-Etienne va vivre encore 20 ans avec l’épopée des Verts. 2006 aurait pu s’inscrire dans la continuité de 98, il a suffi d’un seul penalty. Il va falloir retrouver une génération qui donne quelque chose. Quand on possède des joueurs tels que Karim, Yohan ou Franck, qui vont être les moteurs de l’équipe, on peut avoir des raisons d’espérer.
Mathieu Haes : Quand vous rentrez dans un stade de France hostile, comment vous le vivez ?
Je suis déçu pour les joueurs. C’est un engrenage. Ce sont les instincts les plus bas qui font fonctionner la foule. Un con ou plusieurs se mettent à crier et les autres font pareil sans savoir pourquoi. Les gens sont transformés dans l’enceinte du stade. Ça me derange. Est-ce qu’on a pas une éducation à faire? Pourquoi ils sont venus au stade ? Pour se défouler ou nous encourager ?
Qu’on nous siffle à la fin du match en fonction du résultat, qu’on réclame des têtes, ça ne me choque pas. J’ai payé pour un spectacle, j’ai trouvé que c’était de la merde, j’ai le droit de siffler. Mais pas durant le match, le film ou la pièce. A la limite, on se lève et on s’en va. Je n’arrive pas à comprendre ce comportement. Imaginer qu’un joueur qui rentre sur le terrain n’ait pas envie, c’est impossible. Si le public pousse derrière son équipe, les joueurs sont transcendés.
Je me souviens qu’à Nantes durant les qualifs pour l’Euro contre la Lituanie, le public a été exceptionnel. On va chercher la victoire (2-0) dans le dernier quart d’heure grâce au public. C’est pour cette raison que les sifflets me gênent. Pas pour moi. Je suis habitué. J’ai une longue tradition. Quand j’ai été joueur, j’ai été pris en grippe. Il y a des gens, ce sont des têtes de turc naturelles. Je n’ai rien fait pour le changer, on est d’accord. J’essaie d’être efficace, je ne tente pas de plaire.
Gregory Rota : Comment vous voyez le match contre la Roumanie ?
Ça va pas être facile. Eux n’ont rien à perdre. Ils ont gagné en Lituanie, ce qui leur donne un espoir d’accrocher au moins d’accrocher une place de barragiste. Quelque part, Ils sont sereins. Ils ont changé de sélectionneur, ça créé toujours un effet sur les premiers matches.
Frédéric Bazin : Finalement, est-ce que vous vous êtes marié avec Estelle ?
Non. Elle a horreur que je l’appelle ma femme. C’est le “ma” qui la dérange. C’est la possession. Je sais que Christine Bravo a sorti une info ahurissante. Elle était à notre mariage mais nous on y était pas. Elle l’a dit en rigolant dans son émission mais n’imaginait pas que la nouvelle soit reprise. Elle n’a pas mesuré l’importance du match de la Roumanie et contre la Serbie.
Sandrine Ricard: Et vous, vous avez mesuré l’importance de vos propos quand vous lui avez demandé la main d’Estelle après l’élimination contre l’Italie ?
Non. A ce moment là et dans ces conditions là, oui j’ai fait une erreur. Si vous vous souvenez, pendant trois ou quatre minutes, j’ai fait le bilan de l’Euro. Et puis ensuite, j’ai eu un moment de faiblesse et d’humanité. Je ne me suis pas rendu compte que j’étais encore sélectionneur, que j’étais encore à l’antenne. Dorénavant, je serais totalement inhumain…
Frédéric Bazin : Vous avez déjà songé à l’après équipe de France ?
Je vis ici et maintenant. Je ne cherche même pas à savoir. Je fais mon travail à fond. Le jour où cela s’arrêtera, je me poserai les questions. Je crois que lorsqu’on donne le meilleur de soi, les conséquences sont toujours positives. Derrière, il y aura autre chose. Je n’ai pas suivi de plan de carrière. La vie est tellement plus belle si on se laisse surprendre.
Sources : https://www.metrofrance.com/infos/raymond-domenech-a-la-fin-je-serai-diable-ou-dieu/miib!NGKX423zMk2bU/